Décès d’un célèbre juge anticorruption en France : hommage à celui qui a jugé les affaires Elf, Kerviel ou Cahuzac
Renaud Van Ruymbeke est décédé. Le célèbre juge anticorruption français, à la retraite depuis 2019, s’est éteint le vendredi 10 mai dernier, à l’âge de 71 ans.
Spécialisé dans les affaires de corruption et de blanchiment d’argent, le magistrat avait acquis une notoriété depuis plusieurs décennies en instruisant des affaires politico-financières très médiatisées, comme Elf, Clearstream, ou plus récemment Kerviel et Cahuzac.
« La France perd un grand magistrat et la justice un immense serviteur », a réagi le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, cité par ‘Le Monde’.
« Il incarnait l’image du juge d’instruction indépendant et courageux, et laissera une empreinte indélébile dans l’histoire judiciaire de notre pays », a de son côté, déclaré sur ‘X’ Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, cité par le quotidien du soir.
Comment Renaud Van Ruymbeke a-t-il forgé sa légende ? Né en 1952, il est entré dans la magistrature en 1977 avant de devenir un juge d’instruction médiatique dans les années 1990.
En 1992, le juge instruit l’affaire Urba, qui porte sur le financement occulte du Parti socialiste. Il s’agit de la première perquisition au siège d’un parti politique au pouvoir en France.
En 2001, il est chargé de l’affaire Elf, conjointement avec Eva Joly. Cette affaire politico-financière, qui touche la société pétrolière et qui comprend de nombreuses ramifications, éclabousse la classe politique française.
Van Rumybeke est aussi resté célèbre pour l’instruction de l’affaire des frégates de Taïwan, un autre scandale politico-financier retentissant, lié à un contrat d’exportation d’armes.
Cette dernière affaire se prolonge avec Clearstream 2 au début des années 2000. Derrière une instruction liée à des cas d’évasion fiscale (Clearstream 1), cette seconde affaire révèle la tentative d’hommes politiques français de manipuler la justice afin d’évincer leurs concurrents.
Réputé pour son intransigeance dans l’instruction d’affaires très difficiles, Renaud Van Ruymbeke l’est aussi devenu pour son engagement contre la corruption et les paradis fiscaux.
Il a ainsi fait partie des signataires de l’appel de Genève, en 1996, signé par plusieurs juges européens. Le texte appelait à une harmonisation judiciaire et fiscale européenne afin de lever le secret bancaire et de lutter plus efficacement contre le blanchiment d’argent du crime et contre l’évasion fiscale.
Cinq ans plus tard, le magistrat cosigne une tribune dans ‘Le Monde’, intitulée « Les boîtes noires de la mondialisation financière ». S’appuyant sur le livre du journaliste d’investigation Denis Robert (sur la photo), « Révélation$ », il y dénonce la persistance de paradis bancaires permettant des transactions opaques et l’arrivée de capitaux sales.
En 2008 et 2009, il instruit des affaires liées à la crise financière qui vient d’éclater : l’affaire Jérôme Kerviel, du nom de l’ancien trader de la Société générale qui avait perdu plusieurs milliards d’euros, et un cas d’escroquerie lié au financier américain corrompu Bernard Madoff.
En 2013, il est chargé de l’affaire Cahuzac, du nom du ministre de François Hollande qui avait dissimulé l’existence de l’un de ses comptes bancaires en Suisse.
Les dernières années avant sa retraite, le juge avait été en vue dans l’affaire de la fraude à la TVA sur les quotas de carbone et dans l’affaire Richard Ferrand, du nom de l’un des principaux soutiens politiques d’Emmanuel Macron.
« Il y a énormément d’argent à nos portes et personne ne fait rien », avait-il déclaré lors de sa dernière interview, accordée à l’Agence France-Presse en 2022, appelant à une « prise de conscience » pour lutter contre l’évasion fiscale et améliorer le financement des États.
Souvent pris dans la lumière médiatique, inflexible pour conduire ses instructions face à des adversaires redoutables, engagé contre la corruption et l’argent sale : Renaud Van Ruymbeke restera dans le souvenir du public comme un juge pas tout à fait comme les autres !