Polémique à Hollywood : les costumes grossissants renforcent-ils la grossophobie ?
Les plaintes au sujet d'acteurs célèbres utilisant des prothèses pour représenter des personnages en surpoids reviennent en force. Si ces costumes grossissants (fatsuits en anglais) sont utilisés depuis des décennies, leur récente utilisation par Brendan Fraser dans son rôle nommé aux Oscars pour "La Baleine" et Emma Thompson dans la comédie musicale "Matilda" a remis le sujet sur le devant de la scène.
Photo : "La Baleine" A24
Aux États-Unis, 73,6 % de la population est en surpoids ou obèse, selon le CDC (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies). C'est énorme, pourtant, Hollywood n'a pas cette image-là. Ainsi, on retrouve donc au cœur du débat une question simple : pourquoi les producteurs hollywoodiens n’engagent-ils pas simplement des acteurs en surpoids ?
"À Hollywood, je suis obèse", a déclaré Jennifer Lawrence au magazine “Elle” en 2012. Selon certains, le corps "parfait" des acteurs les plus influents d'Hollywood pourrait être préjudiciable aux individus et aux sociétés qui admirent ces normes de beauté impossibles, même si on y voit aussi des acteurs en surpoids.
"Des centaines, voire des milliers d'acteurs obèses sont à la recherche d'un emploi, mais au lieu d'être choisis pour un rôle qui conviendrait à leur morphologie et de mettre un terme aux costumes grossissants, les acteurs minces se voient confier le rôle et sont contraints de porter ce genre de combinaison afin de paraître plus gros qu'ils ne l'ont probablement jamais été", écrit la journaliste Mollie Quirk dans le magazine Glamour.
Cate Young (sur la photo) va encore plus loin dans sa critique de la pratique hollywoodienne. Selon elle, si Hollywood a progressé sur le plan de la diversité raciale, la progression sur le plan de la diversité corporelle n'est pas au rendez-vous. Elle affirme que les costumes grossissants sont nuisibles parce qu'ils "présentent les gros corps comme un défaut moral", dans un article publié dans "Cosmopolitan" en 2023. Le blackface est une forme américaine de maquillage dans laquelle un acteur blanc joue une caricature stéréotypée d'une personne noire.
Photo : battymamzelle / Instagram
"Cela pose la question suivante : pourquoi continuons-nous à acclamer des acteurs portant des costumes grossissants alors que nous savons que les histoires concernant n'importe quel groupe de personnes devraient inclure leur participation ?", s'interroge Young. Elle affirme que le blackface et le costume grossissant servent tous deux "à se moquer et à diminuer les personnes qui sont déjà marginalisées".
Photo : "La Baleine", A24
Alyssa Lopez, professeure d'histoire afro-américaine, explique que le "blackface" était utilisé par les acteurs blancs pour dépeindre l'intimité interraciale sans qu'il soit nécessaire de faire se côtoyer acteurs noirs et blancs, comme on le voit dans le film "Naissance d'une nation" en 1915 (sur la photo). Les acteurs noirs l'utilisaient également pour se rendre plus sombres et donc "plus authentiques" aux yeux du public blanc.
"Cela permet à une société d'imaginer régulièrement et historiquement que les Afro-Américains ne sont pas pleinement humains. Elle sert à rationaliser la violence et la ségrégation Jim Crow", affirme le professeur David Leonard à History.com (réseau américain de télévision payante). Selon lui, ces méthodes ont permis de transformer les stéréotypes sur les personnes noires en divertissement et de justifier le racisme.
Photo : Division des impressions et des photographies de la Bibliothèque du Congrès des États-Unis, ID numérique var.1831
"Il y a quelque chose de si étrange à voir quelqu'un passer six heures à se maquiller pour me ressembler, pour un rôle pour lequel je ne serais jamais envisagé", a déclaré l'acteur Guy Branum (sur la photo) dans l'article du Cosmopolitan. L'autre point commun entre les costumes grossissants et le blackface est le suivant, selon l'article : la noirceur de la peau et la corpulence sont traitées comme des choses que l'on peut simplement mettre ou enlever à volonté. Mais dans le monde réel, ce n'est pas le cas.
Selon le professeur de psychologie J. Kevin Thompson, seule une petite minorité de femmes ont été autorisées à prendre du poids pour un rôle. Et certains acteurs préfèrent prendre de la masse et grossir. Et cela a été particulièrement vrai après que Robert De Niro a pris 27 kg pour incarner le déclin de Jake La Motta dans "Raging Bull" (Comme un taureau sauvage) en 1990 (sur la photo).
Photo : Raging Bull (1980), MGM
C’est en mangeant 7 000 calories par jour pour jouer un boxeur devenu prêtre dans le film "Père Stu : un héros pas comme les autres”, sorti en 2022, que l'acteur s'est métamorphosé en juste trois semaines !
Photo : markwahlberg / Instagram
Pour le rôle de Bridget Jones, Zellweger a pris 10 kg et a dû suivre un régime yo-yo pendant des années pour tourner les suites, même si le personnage de Bridget Jones est considéré par beaucoup comme ayant un poids "normal".
Photo : "Le Journal de Bridget Jones", Universal Pictures
Bien sûr que non. Non seulement la prise de poids peut nuire à des parties du corps comme les articulations ou les organes, mais perdre du poids trop rapidement peut aussi être mauvais pour le métabolisme. Ainsi, les médecins affirment que le régime yo-yo nécessaire à ce type d'interprétation peut être nuisible pour la santé de l'acteur.
"Mon corps était sous le choc de la quantité de poids que j'ai pris… J'avais un fauteuil roulant parce que [marcher] était très douloureux. Il a fallu environ un an pour revenir à un état qui m'avait l'air semi-normal. Je ne sais pas si je parviendrai un jour à retrouver mon état physique", a déclaré Jared Leto à "Digital Spy" (site web britannique de divertissement et d'information médias). Pour jouer Mark David Chapman, Jared Leto a pris 30 kilos. Il y est parvenu, en partie, en ingurgitant de la glace passée au micro-ondes mélangée à de l'huile d'olive et de la sauce soja.
"Zellweger [qui se déguise] en personne de taille forte est dommageable, grossophobe et potentiellement agaçant pour les autres personnes de taille forte", a déclaré l'écrivaine spécialiste des tailles fortes Sarah Alexander au sujet de la décision de l'actrice d'utiliser un costume grossissant pour incarner la tueuse Pam Hupp. Renee Zellweger a déclaré pour sa part que sa transformation n'était qu'une question de précision.
Photo : "The Thing About Pam", NBC
"Je pense que la grossophobie est réelle. Je pense que prétendre le contraire cause davantage de tort", s’est excusée Sarah Paulson, après avoir porté un costume grossissant pour jouer l'employée de la Maison Blanche Linda Tripp dans une série FX. "J'ai eu une opportunité que quelqu'un d'autre n'a pas eue... Et je ne ferais pas le même choix à l'avenir", a-t-elle déclaré au "Los Angeles Times" (quotidien américain).
Photo : "Impeachment: American Crime Story", FX Networks
Cet épisode de "Friends" montrait que les grosses femmes ne méritent pas d'être aimées et qu'il est drôle de plaisanter sur le fait d'être grosses ou même de se priver de nourriture, ou encore que ce facteur peut servir de punchline intéressante pour un sketch. C’est ce que souligne Emma Specter dans Vogue en intitulant ainsi son article. Les personnes qu’elle a interviewées ont d'ailleurs affirmé que ce personnage contribue à alimenter la grossophobie.
Photo : "Friends", NBC
Courteney Cox a déclaré au "Ellen DeGeneres Show" : "J'ai adoré jouer le rôle de Monica en surpoids parce que je me sentais tellement libre". Mais "dans le monde réel, les personnes obèses ne se sentent souvent pas libres, car elles sont constamment discriminées et sont fréquemment ostracisées par les personnes minces", lui a rétorqué un auteur du magazine Glamour.
Photo : "Friends", NBC
Gwyneth Paltrow a, quant à elle, un avis tout à fait différent de celui de Courteney Cox. Bien que sa ligne de vêtements, Goop, a été critiquée pour son manque d'inclusivité en matière de tailles, Gwyneth Paltrow a déclaré après avoir utilisé un costume grossissant pour représenter une femme obèse dans "L’Amour extra-large" : "c'était tellement triste. C'était si dérangeant. Personne ne voulait établir un contact visuel avec moi parce que j'étais obèse. Pour une raison quelconque, les vêtements qu'ils confectionnent pour les femmes qui sont en surpoids sont horribles. Je me suis sentie humiliée, car les gens étaient vraiment méprisants".
Photo : "L’Amour extra-large" (2001), Twentieth Century Fox
John Travolta a été critiqué pour avoir porté un costume de femme obèse dans "Hairspray". L'acteur de "Grease" a adoré jouer ce rôle et montré qu'il n'y a pas de problème à ce que les hommes s'habillent comme des femmes. Mais peut-être le rôle aurait-il dû être réservé à une drag queen, comme c'était le cas dans le film original datant des années 60. En effet, le personnage féminin a d'abord été interprété par la drag queen Divine, alors en surpoids.
Photo : "Hairspray" (2007), New Line Cinema
L'article du Cosmopolitan souligne que le personnage joué par Brendan Fraser dans "La Baleine" est un obèse "dégoûtant et triste" qui n'est rien de plus que son poids. Cependant, de nombreux critiques estiment que le film est le portrait touchant d'un personnage compliqué. D'ailleurs, l'acteur, qui a porté un costume grossissant pour jouer un homme de 270 kilos, fait partie des nominés pour l'Oscar 2023 du meilleur acteur. Il a d’ailleurs déjà reçu le prix du meilleur acteur aux Critics Choice Awards.
Photo : "La Baleine", A24
Le retour triomphal de Brendan Fraser après une période difficile
Il a déclaré au magazine américain consacré à l’industrie du spectacle Variety en octobre 2022 : "Il y a eu un moment, au cours de la réalisation de ce film, où nous avons essayé de rechercher des acteurs souffrant d'obésité". "En dehors de l'impossibilité de trouver un acteur qui pourrait faire passer les émotions du rôle, cela devient juste une folle course-poursuite. Du genre, si vous ne pouvez pas trouver un acteur de 272 kilos, un acteur de 136 kilos ou de 180 kilos est-il suffisant ?"
"Nous pouvons souvent perdre de vue que ce sont des êtres humains avec des pensées, des sentiments, des cœurs, des familles et tout... Pour être une personne de cette taille, il faut vraiment être très fort physiquement et émotionnellement", a déclaré Brendan Fraser à la BBC. L'acteur canadien a déclaré avoir fait de nombreuses recherches et consulté l'Obesity Action Coalition (Coalition pour l'action contre l'obésité, en français) lors de la préparation de ce rôle. Il est désormais un défenseur de la lutte contre la grossophobie.
Phoebe-Jane Boyd, rédactrice du journal d’information britannique The Guardian soulève une question pleine de sens : "Nous sommes censés trouver Brendan Fraser en costume de gros tragique, pas drôle. Est-ce vraiment un progrès ?" Il s'avère en effet que les personnages en surpoids sont désormais davantage dépeints comme "pitoyables" plutôt que drôles, comme c'est le cas dans "La Baleine". Cependant, à Hollywood, les rôles de personne obèses étaient généralement traités avec humour, notamment d'après une étude réalisée en 2007.
Il semble évident que tous ne sont pas du même avis. "Les directeurs de casting doivent cesser de suivre la politique des castings et faire leur travail, c'est-à-dire choisir le meilleur acteur pour le rôle", a écrit l'humoriste, animateur de télévision et commentateur politique américain Bill Maher sur Twitter. Ce à quoi Farah Fleurima, journaliste au New York Times, a répondu : "le 'meilleur acteur pour le rôle' est généralement choisi dans le cadre du système établi : les blancs, les minces, peu importe".
Fleurima ajoute : "Les films doivent faire des bénéfices, et le moyen le plus sûr de générer des ventes de billets est de renforcer le pouvoir des stars". Et en effet, l'article du New York Times souligne que les costumes grossissants sont souvent utilisés par Hollywood pour des raisons financières.
Photo : Ahmet Yalçınkaya / Unsplash
Elle poursuit : "Du fait que l'industrie du divertissement a toujours évité de confier aux talents de grande taille des rôles de premier plan (ou presque), très, très peu ont atteint ce niveau de rentabilité. Pourtant, si Hollywood donnait une chance aux acteurs de grande taille, un nombre suffisant d'entre eux ne pourrait-il pas former une armée de talents de premier ordre parmi lesquels choisir ?"
Si certains ont critiqué le "gros Thor" joué par Chris Hemsworth dans "Avengers : Endgame", cet article souligne que les costumes grossissants peuvent avoir une certaine légitimité lorsqu'ils décrivent la transformation physique d'un personnage qui se déroule sur une période de temps relativement courte.
Photo : "Avengers : Endgame" Clip officiel des coulisses, IGN / Youtube