Léopold Sédar Senghor : un parcours franco-africain unique
Il y a vingt ans, le 20 décembre 2001, Léopold Sédar Senghor nous quittait à l’âge de 95 ans. Son parcours unique d’écrivain, de chef d’État et d’académicien a fait de sa vie un pont entre les deux continents, mais aussi entre les lettres et la politique. Un court biopic en images.
Léopold Sédar Senghor est né à Joal, au sud du Sénégal, le 9 octobre 1906, d’un père catholique. Il a des origines peules par sa mère qui appartient à l’ethnie sérère. Élève studieux, il étudie à Dakar et se passionne pour la littérature. Ses professeurs le recommandent pour qu’il puisse poursuivre ses études en France et il obtient une bourse de l’administration coloniale.
Arrivé à Paris en 1928, Senghor étudie en classes préparatoires et se lie avec plusieurs camarades devenus aussi illustres que lui : Aimé Césaire, Georges Pompidou... Naturalisé français, il est reçu à l’agrégation de grammaire en 1935 et reste en France pour enseigner les lettres classiques.
Enrôlé dans un régiment d’infanterie coloniale malgré sa nationalité française, l’homme de lettres est fait prisonnier et manque d’être exécuté, avec plusieurs autres soldats noirs, par les troupes allemandes. Prisonnier deux ans de 1940 à 1942, Senghor rédige de premiers poèmes. Son premier recueil, "Chants d’ombre", paraît en 1945. Finalement libéré, il reprend l’enseignement tout en participant à des réseaux de résistance universitaire.
À la Libération, Léopold Sédar Senghor reprend la chaire de linguistique de l’École nationale de la France d’outre-mer, qui formait les cadres administratifs de l’Empire colonial. Il épouse Ginette Éboué avec laquelle il a deux enfants, nés en 1947 et en 1948. Il est par ailleurs élu député socialiste à l’Assemblée nationale française et soutient la grève des cheminots sur la ligne Dakar-Niger.
Le député quitte la SFIO, ancêtre du Parti socialiste, et co-fonde en 1948 le Bloc démocratique sénégalais (BDS). Le vert, couleur de cette formation politique, est l’une des trois couleurs qui composent le drapeau sénégalais aujourd’hui. Ce parti sera couronné de succès aux élections suivantes, mais entre-temps, Senghor l’a quitté pour rejoindre le groupe parlementaire des Indépendants d’outre-mer. Il est réélu député sous cette bannière en 1951.
La carrière politique de Léopold Sédar Senghor connaît un essor dans les années 1950. Secrétaire d’État d’Edgar Faure en 1955, il fait partie de la commission chargée de rédiger la Constitution de 1958 et devient conseiller du Premier ministre français Michel Debré. Il est aussi membre du Grand conseil de l’Afrique occidentale française et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Il divorce et se remarie avec une française à la même époque.
Partisan d’une fédération d’États africains et du maintien de liens forts avec la France, Senghor est élu président de la nouvelle République du Sénégal qui proclame son indépendance le 20 août 1960. Il est l’auteur de l’hymne national du pays, « Le Lion rouge ».
Senghor écrit en 1962 un article historique dans la revue "Esprit" : "Le français, langue de culture". Il défend une francophonie à la fois universelle et respectueuse des cultures locales. Il en est l'un des principaux promoteurs dans le monde, avec le président tunisien Habib Bourguiba (sur la photo) et Norodom Sihanouk, qui dirige le Cambodge. Ce processus conduira à la création de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Chargé des relations internationales et resté proche de la France, le nouveau chef d’État entre rapidement en conflit avec le chef du gouvernement, Mamadou Dia, qui prône un modèle révolutionnaire de développement à l’écart des anciennes puissances coloniales. Dia tente d’imposer son plan en contournant le parlement sénégalais, ce qui conduit Senghor à le faire arrêter pour tentative de coup d’État.
Mamadou Dia et ses soutiens sont jugés sommairement et ne sont libérés qu’au bout de onze années de détention. Senghor instaure un régime plus autoritaire, dans lequel seul son parti est autorisé. Il fait face à une contestation étudiante de grande ampleur en 1968. Après avoir de nouveau assoupli le régime dans les années 1970, il démissionne en 1980 sans attendre le terme de son cinquième mandat.
Durant son mandat de président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor poursuit son activité littéraire. De nombreux recueils de poésie de sa main paraissent aux éditions du Seuil dans les années 1960 et 1970.
Au-delà de ses écrits poétiques, Senghor est le théoricien du concept de "négritude", qu’il développe dans plusieurs tomes d’un grand essai intitulé "Liberté". Cette idée est définie comme « l’ensemble des valeurs culturelles du monde noir, telles qu’elles s’expriment dans la vie, les institutions et les œuvres des Noirs ».
Sa carrière politique terminée, Léopold Sédar Senghor voit son œuvre littéraire récompensée par son élection à l’Académie française en 1983, où il est le premier africain à siéger. L’Académie lui avait décerné vingt ans plus tôt la médaille d’or de son prix de la langue française, qui récompensait les auteurs d’expression française hors de France.
Installé en Normandie, Senghor décède le 20 décembre 2001. Des funérailles nationales ont lieu à Dakar en présence de nombreuses personnalités françaises et sénégalaises. L’absence de Jacques Chirac et Lionel Jospin, alors respectivement président de la République et Premier ministre français, fait cependant polémique.
L’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing a repris son fauteuil à l’Académie française et lui a rendu hommage lors de son discours de réception, célébrant le « poète de la contestation anti-coloniale et anti-esclavagiste », le « chantre de la négritude » et le « poète à la recherche lointaine, et sans doute ambiguë, d’un métissage culturel mondial ». L’aéroport de Dakar a été rebaptisé à son nom, tout comme de nombreux lieux publics à travers le monde.
Si ses liens avec l’ancienne puissance coloniale et l’autoritarisme de son régime peuvent être contestés, Léopold Sédar Senghor reste une figure singulière et inspirante, par sa volonté de concilier l’écriture et l’action politique, l’affirmation d’une indépendance africaine et un idéal de fraternité universelle par la langue. Disparu il y a vingt ans, il est un monument de l’histoire du Sénégal et de la langue française.