Couple de légende : Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, aussi liés que libres
Ils ont formé un couple mythique et atypique pendant près de cinquante ans. Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, deux écrivains et philosophes engagés, ont vécu un amour libre, loin des codes sociaux, mais en accord avec les valeurs qu'ils défendaient. Découvrez au fil de notre galerie l'histoire de l'une des plus fortes et sincères relations du XXᵉ siècle.
Simone de Beauvoir est née le 9 janvier 1908 dans un appartement du 103, boulevard de Montparnasse. Elle est scolarisée au Cours Désir à l'âge de cinq ans, un établissement privé catholique réservé aux jeunes filles de la haute bourgeoisie parisienne.
Élevée dans une famille très pieuse, Simone de Beauvoir perd sa foi à l'adolescence et s'émancipe progressivement, au grand dam de ses parents. Après des études de lettres et de mathématiques, elle se lance dans des cours de philosophie, et obtient finalement une licence en lettres mention philosophie en 1928, après la validation de certificats d'éthique et de psychologie. Elle se présente alors à l'agrégation de philosophie.
Jean-Paul Sartre est né le 21 juin 1905 dans le 16ᵉ arrondissement de Paris. Sa mère appartenait à une famille d'intellectuels alsaciens. Son père, officier de la marine, est décédé de la fièvre jaune alors que Jean-Paul Sartre n'avait que quelques mois. Il vit les dix premières années de sa vie avec sa mère dans la maison de ses grands-parents maternels, chez qui il découvre très vite la littérature.
Jean-Paul Sartre a été scolarisé dans les grands lycées parisiens, au lycée Montaigne puis au lycée Henri-IV. Il intègre ensuite le lycée Louis-le-Grand pour préparer le concours d'entrée à l'École Normale Supérieure (ENS), qu'il valide. En 1928, il échoue au concours d'agrégation de philosophie. Il retente alors sa chance l'année suivante...
Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre se sont rencontrés sur les bancs de la Sorbonne en 1929. Tous deux préparent alors l'agrégation de philosophie et se retrouvent dans le même groupe de travail avec René Maheu, leur ami en commun. Sartre sera reçu premier de la promotion 1929, et de Beauvoir, deuxième.
"Castor" était la surnom donné à Simone de Beauvoir par son ami René Maheu (à gauche sur la photo), en référence à "beaver" qui ressemble à son nom de famille et signifie "castor" en anglais. Jean-Paul Sartre reprendra ce petit nom et l'appellera ainsi tout au long de sa vie.
Aux prémices de leur relation, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir entament leurs carrières de professeurs de philosophie. En 1931, Sartre est muté au Havre et de Beauvoir à Marseille. Mais la séparation leur est inenvisageable.
Pour obtenir un poste dans le même lycée, Jean-Paul Sartre demande Simone de Beauvoir en mariage. Mais, déjà grande féministe, cette dernière rejette sa proposition. Elle le raconte dans son autobiographie "La Force de l'âge" (1960) : « Je dois dire que pas un instant je ne fus tentée de donner suite à sa suggestion. Le mariage multiplie par deux les obligations familiales et toutes les corvées sociales. (...) Le souci de préserver ma propre indépendance ne pesa pas lourd ; il m’eût paru artificiel de chercher dans l’absence une liberté que je ne pouvais sincèrement retrouver que dans ma tête et mon cœur. »
Ils signent alors un pacte de deux ans, et renouvelable, qui leur permet d'avoir des amours "contingents", tout en vivant leur amour dit "nécessaire" au nom de l'écriture et des idées.
La liberté étant un principe fondamental pour eux, les deux écrivains vont multiplier les aventures, sans jamais se les dissimuler l'un à l'autre. Ils vivront ainsi, à la fois libres et unis, pendant cinquante ans, jusqu'à la mort de Jean-Paul Sartre en 1980.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir avaient l'habitude de se retrouver au Café de Flore, dans le 6ᵉ arrondissement de Paris. Sartre écrira : « Nous nous y installâmes complètement : de neuf heures du matin à midi, nous y travaillions, nous allions déjeuner, à deux heures, nous y revenions et nous causions alors avec des amis que nous rencontrions jusqu’à huit heures. Après dîner, nous recevions les gens à qui nous avions donné rendez-vous. Cela peut vous sembler bizarre, mais nous étions au Flore chez nous. »
En 1945, les deux philosophes fondent la revue "Les Tempes Modernes". Il s'agit d'une revue politique, littéraire et philosophique, proche du Parti communiste français à sa fondation, qui s'est notamment engagée contre la guerre d'Algérie en 1955, et a dénoncé l'usage de la torture.
Au milieu de ses nombreuses aventures (dont certaines homosexuelles), Simone de Beauvoir a vécu une histoire passionnée avec Nelson Algren (photo), un écrivain communiste américain.
Lors de son premier voyage aux États-Unis en 1947, Simone de Beauvoir fait la rencontre de l'écrivain. Elle mettra en lumière sa relation avec Nelson Algren à travers des personnages fictifs dans "Les Mandarins" (1954), un roman grâce auquel elle recevra le Prix Goncourt.
Simone de Beauvoir et Nelson Algren s'énverront des lettres d'amour jusqu'en 1964. Dans une lettre envoyée en 1948, elle écrit : « Je ne serais pas la Simone qui vous plaît, si je pouvais renoncer à ma vie avec Sartre, je serais une sale créature, une traîtresse, une égoïste. (...) Et même si je suis sûre que vous quitter est plus dur pour moi que pour vous, que vous me manquez de façon plus douloureuse que je ne vous manque ; je ne pourrais vous aimer davantage, vous désirer davantage, vous ne pourriez me manquer davantage. Peut-être le savez-vous. Mais ce que vous devez savoir aussi, tout prétentieux que ça puisse paraître de ma part, c'est à quel point Sartre a besoin de moi. »
Dans cette lettre, on peut également lire : « Il est impossible de ressentir plus d'amour que je n'en ressens pour vous, amour du corps, du cœur et de l'âme. Mais je préférerais mourir plutôt que de causer un mal profond, un tort irréparable à quelqu'un qui a tout fait pour mon bonheur. »
Le couple a voyagé dans le monde entier, et notamment aux États-Unis, en Chine, en Russie et à Cuba. Au cours de leurs voyages, Sartre et de Beauvoir rencontreront plusieurs personnalités communistes comme Mao Zedong, Fidel Castro et Che Guevara (à droite sur la photo).
Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir partageaient leurs idées et leurs combats, et s'inspiraient énormément l'un et l'autre. Leurs conversations profondes ont inspiré nombre de leurs œuvres. En 1967, Radio-Canada produit un reportage dans lequel on les retrouve dans leur quotidien à Paris. Jamais l'un sans l'autre, Sarte et de Beauvoir expliquent se retrouver chaque après-midi pour travailler côte à côte sur leurs projets respectifs.
« Sartre ne peut se concevoir sans de Beauvoir, ni de Beauvoir sans Sartre », confiait Jean-Paul Sartre au micro de RTL, peu avant sa mort, en 1980.
Atteint d'urémie, Jean-Paul Sartre s'éteint à 75 ans. « Sa mort nous sépare. La mienne ne nous réunira pas. C'est ainsi ; il est beau déjà que nos vies aient pu si longtemps s'accorder », dira Simone de Beauvoir. Elle meurt en avril 1986, à l'âge de 78 ans. Tous les deux sont enterrés côte à côte au cimetière de Montparnasse. Jamais vraiment l'un sans l'autre.