Alain Juppé, un morceau d’histoire de la vie politique française
Alors que sa carrière dans la politique active est terminée, Alain Juppé représente à lui seul un morceau de l’histoire de la Ve République. Ministre puis Premier ministre, l’ancien maire de Bordeaux a aussi été l’un des leaders de la droite française pendant une trentaine d’années. Retour en images sur un long parcours.
Nommé au Conseil constitutionnel en 2019, Alain Juppé a alors abandonné son mandat de maire de Bordeaux et quitté de ce fait l’arène politique. L’institution chargée de contrôler la conformité des lois à la Constitution est présidée par un autre ancien Premier ministre, le socialiste Laurent Fabius.
Alain Juppé est né en 1945 dans le département des Landes, dans le sud-ouest de la France. Il suit une brillante scolarité dans un lycée de Mont-de-Marsan avant de s’installer à Paris pour faire ses études.
Gaulliste et exploitant agricole, son père Robert Juppé était un membre des Corps francs Pommiès pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’agissait d’un corps franc de plusieurs milliers de résistants issus des Pyrénées qui a mené de nombreuses actions dans le sud-ouest contre l’armée d’occupation.
Étudiant précoce, Alain Juppé intègre l’École normale supérieure, où il obtient l’agrégation de lettres classiques en 1967, puis Sciences Po Paris l’année suivante. Après son service militaire, il intègre la prestigieuse ENA qui forme les hauts fonctionnaires et une partie des hommes politiques français.
Alors qu’une partie de ses collègues de l’ENA voulait baptiser leur promotion « Commune-de-Paris » pour commémorer le centenaire de la célèbre insurrection, en 1970, Alain Juppé, fidèle au gaullisme paternel, milite pour que la promotion porte le nom du général De Gaulle, décédé la même année.
Alain Juppé débute sa carrière dans la haute administration dans les années 1970. Il est rapidement appelé au cabinet de Jacques Chirac, alors Premier ministre, et adhère à son parti, le RPR. Mais il est battu lorsqu’il tente de se présenter aux élections législatives puis cantonales dans sa région d’origine.
Juppé devient donc l’un des principaux collaborateurs et soutiens du futur président Chirac, qu’il rejoint à la mairie de Paris. Pour le meilleur et pour le pire, il a été d’une loyauté sans faille à Jacques Chirac tout au long de sa carrière.
Alain Juppé remporte son premier mandat électif en 1983, lorsqu’il est élu conseiller de Paris dans le 18e arrondissement. Il occupera ces fonctions jusqu’en 1995 tout en étant aussi député européen.
Dans les années 1980, Juppé anime aussi le « club 89 », un véritable contre-gouvernement face à la majorité socialiste. Cette instance sert aussi de « boîte à idées » dans la perspective des élections législatives de 1986, remportées par la droite.
Cette année-là, la victoire électorale de l’opposition contraint François Mitterrand à la « cohabitation ». Jacques Chirac devient Premier ministre et Alain Juppé récupère le portefeuille du Budget. Son passage est principalement marqué par des baisses d’impôts censées stimuler l’investissement.
Alors que la droite revient dans l’opposition en 1988, Juppé est devenu l’une des figures les plus importantes du RPR, dont il est le secrétaire général de 1988 à 1994. Face à des contestations internes au sein du parti, il soutient Jacques Chirac dont il conforte le leadership.
En 1992, alors que des poids lourds du RPR (Philippe Séguin, Charles Pasqua) et la majorité des militants font campagne contre le traité de Maastricht à l’origine de l’euro, Alain Juppé suggère à Jacques Chirac de faire campagne pour le « oui ». Une position délicate à assumer en interne mais finalement payante puisque les Français votent favorablement au traité lors du référendum.
Tout au long de sa carrière, Alain Juppé a incarné une droite modérée, réformatrice, même si sa vision d’ensemble a pu être jugée floue et mouvante, comme d’ailleurs celle de son mentor Jacques Chirac.
En 1993, la droite revient au pouvoir dans un nouveau gouvernement de cohabitation et Alain Juppé hérite cette fois du ministère des Affaires étrangères. Avec François Mitterrand, il prend position en faveur d’une intervention française au Rwanda, alors en plein génocide.
Ses deux années au Quai d’Orsay sont particulièrement fastes, la France étant aussi impliquée dans le processus de paix israélo-palestinien et dans la résolution du conflit qui déchire l’ex-Yougoslavie. Juppé est considéré comme l’un des meilleurs ministres des Affaires étrangères de la France contemporaine.
En 1995, Jacques Chirac accède enfin à l’Élysée et choisit tout naturellement celui qu’il nomme « le meilleur d’entre nous » pour diriger le gouvernement. La priorité absolue est fixée à la lutte contre le chômage. Son gouvernement est marqué par la présence de douze femmes, un nombre élevé pour l’époque, qui seront surnommées les « juppettes ».
Mais l’impopularité monte rapidement avec l’annonce du « plan Juppé » de réforme de la Sécurité sociale, qui prévoit notamment de mettre fin à certains régimes spéciaux de retraite. En décembre 1995, un mouvement de grève massif et soutenu par l’opinion se met en place et bloque le pays. Après un bras de fer de plusieurs semaines avec les syndicats, Juppé est contraint de renoncer à une partie de son plan.
En 1997, Jacques Chirac dissout l’Assemblée nationale afin de renforcer sa majorité mais c’est la gauche qui, contre toute attente, remporte les législatives et revient au gouvernement. Alain Juppé doit quitter Matignon, mais il a une solution de repli.
En 1995, l’ancien élu de Paris est aussi devenu maire de Bordeaux. Durant ses deux premiers mandats, Alain Juppé revitalise la ville à travers le développement du tramway, la réhabilitation de certains quartiers et la mise en valeur du patrimoine local. Un travail couronné des années après par l’arrivée d’une ligne TGV reliant Paris à Bordeaux en deux heures.
En 2002, alors que Jacques Chirac est réélu président de la République, Alain Juppé reste son conseiller de l’ombre. Il est l’artisan de la création du nouveau parti présidentiel, l’UMP, qu’il préside de 2002 à 2004.
En 2004, l’ancien Premier ministre est condamné par la cour d’appel de Paris à une peine de prison avec sursis et un an d’inéligibilité pour prise illégale d’intérêts dans l’affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris. Certains diront qu’il a accepté de se sacrifier pour Jacques Chirac. Alain Juppé quitte ses mandats électifs et la présidence de l’UMP, et part enseigner à Montréal.
Redevenu maire de Bordeaux en 2006, Juppé est nommé ministre de l’Environnement par le nouveau président Nicolas Sarkozy en 2007, mais il doit rapidement quitter le gouvernement en raison de sa défaite aux législatives. Mais il prépare son retour depuis Bordeaux et revient au gouvernement comme ministre de la Défense fin 2010.
Alors que le printemps arabe bat son plein et que la ministre des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie multiplie les maladresses, Alain Juppé revient précipitamment au Quai d’Orsay début 2011. Il est notamment l’artisan de l’intervention militaire française contre le régime de Kadhafi en Libye.
Resté maire de Bordeaux sous le mandat de François Hollande, Alain Juppé est longtemps donné favori des primaires visant à désigner le candidat de la droite aux élections présidentielles de 2017. Mais il est largement devancé au premier tour par François Fillon, qui le bat au second tour. C’en est fini des ambitions présidentielles d’Alain Juppé, même s’il a envisagé de substituer au candidat de son parti lorsque l’affaire Fillon a éclaté.
Le mandat d’Emmanuel Macron est marqué par le ralliement au nouveau président de nombreux anciens soutiens d’Alain Juppé, comme Édouard Philippe qui est nommé Premier ministre en 2017. Par ailleurs, Juppé n’a pas renouvelé son adhésion au parti Les Républicains depuis la période où il était dirigé par Laurent Wauquiez, plus à droite que lui.
Désormais âgé de 77 ans, Alain Juppé en a définitivement terminé avec la politique. L’histoire retiendra de lui une carrière au goût d’inachevé et marquée par de nombreux échecs, mais aussi un homme politique de haut vol capable d’assumer les plus hautes responsabilités de l’État.