Royaume-Uni : la polémique fait rage autour de la réécriture des livres de jeunesse de Roald Dahl
Décédé en 1990 à l'âge de 76 ans, Roald Dahl (en photo) est le créateur de personnages tels que 'Matilda', 'Le Bon Gros Géant', 'Fantastique Maître Renard', 'Charlie et la Chocolaterie' et les 'Deux Gredins'.
Ses livres se sont vendus à plus de 300 millions d'exemplaires et ont été traduits en 63 langues, tandis que de nombreuses adaptations de ses œuvres ont été réalisées pour le grand et le petit écran.
Bien que plusieurs de ses livres pour enfants les plus connus aient été publiés pour la première fois dans les années 1960, Roald Dahl compte aujourd'hui parmi les auteurs les plus populaires auprès des jeunes.
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Les modifications, recommandées par 'Inclusive Minds', une organisation qui examine la diversité dans la littérature pour enfants, comprennent la suppression ou le remplacement de mots, la description de l'apparence des personnages et l'ajout d'un langage non-sexiste à certains endroits. Les références lexicales au physique, à la santé mentale, à la violence, aux questions de race ou de genre ont été supprimées et modifiées.
Rappelez-vous, Augustus Gloop était un petit garçon allemand rondouillard qui ne faisait que manger. Il était d'ailleurs encouragé par sa mère à ce sujet. Désormais, dans 'Charlie et la chocolaterie', il n'est plus "gros" mais "énorme". Les Oompa Loompas, quant à eux, sont devenus non-binaires.
Commère Gredin est devenue "bête" plutôt que "laide et bestiale" et "une langue africaine bizarre" ne l'est plus.
Dans 'Matilda', la protagoniste ne lit plus les œuvres de Rudyard Kipling, mais celles de Jane Austen. De plus, certains passages, non écrits par Dahl, ont été ajoutés.
Dans ce roman, un paragraphe explique la raison pour laquelle ces dernières portent une perruque (elles seraient chauves) se termine par la nouvelle ligne : "Il y a beaucoup d'autres raisons pour lesquelles les femmes peuvent porter ce genre d'attribut et il n'y a certainement rien de mal à cela."
Des auteurs tels que Salman Rushdie et Philip Pullman ont critiqué les réécritures. Salman Rushdie a tweeté : "Roald Dahl n'était pas un ange, mais cette censure est complètement absurde".
L'écrivain Pullman, quant à lui, a déclaré à la BBC Radio que les livres de M. Dahl "devraient disparaître" surtout s'ils sont jugés offensants.
La rédactrice en chef adjointe du journal conservateur 'Sunday Times', Laura Hackett, a déclaré qu’elle garderait ses éditions originales de Roald Dahl afin que ses enfants puissent ''les apprécier dans toute leur gloire méchante et colorée''.
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Toutefois, certains écrivains ont salué les changements apportés aux livres de Dahl. L'auteur Debjani Chatterjee estime que c'est "une très bonne chose que les éditeurs revoient son travail".
Chatterje a déclaré à la BBC : "Je pense qu'il s'agit d'un choix judicieux. Prenez le mot 'gros' par exemple qui a été remplacé par le terme 'énorme'. En réalité, je pense que le personnage est beaucoup plus drôle comme ça".
Mais ce n'est pas la première fois que les livres de Dahl sont sous les feux de la rampe pour des questions de moralité. Plusieurs de ses livres ont déjà fait l'objet de tentatives de réécriture, voire d'interdiction, de la part d'adultes.
'Charlie et la chocolaterie' a été partiellement réécrit par Dahl en 1973, sous la pression de la NAACP (association nationale pour la promotion des gens de couleur) et des professionnels de la littérature enfantine.
Les Oompa Loompas originaux de Dahl étaient "une tribu de minuscules pygmées miniatures" que Willy Wonka "découvrit" et "fit venir d'Afrique" pour travailler dans son usine sans autre rémunération que des fèves de cacao. De quoi en offenser plus d'un, vous ne trouvez pas ?
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Bien que Dahl ait nié avec véhémence que le roman dépeignait la communauté noire de manière négative, il a révisé le livre. Les Oompa Loompas sont alors devenus des habitants de "Loompaland" aux "cheveux bruns d'or" et à la "peau blanche comme la rose".
En outre, Dahl a longtemps été considéré comme un personnage controversé, notamment en raison de plusieurs commentaires antisémites qu'il a faits tout au long de sa vie et pour lesquels sa famille a présenté des excuses officielles en 2020.
Les experts ont également souligné que la littérature pour enfants, contrairement à celle des adultes, fait l'objet d'une révision constante et méticuleuse.
Selon Michelle Smith, maître de conférences en études littéraires, les livres pour enfants façonnent implicitement l'esprit des enfants lecteurs en présentant des valeurs sociales et culturelles particulières comme normales et naturelles.
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Cependant, d'autres experts, comme Phil Nel, spécialiste de la littérature enfantine, pensent que laisser un enfant lire un livre aux valeurs dépassées peut permettre d'aborder des sujets tels que le racisme et la misogynie avec les parents et les éducateurs.
De plus, selon Nel, le fait de ne pas éditer les livres favorise l'idée qu'il s'agit ''d'objets culturels" précieux qui doivent rester inchangés.
Toutefois, l'expert estime que le fait de laisser intact un langage désuet présente un aspect très inquiétant, surtout lorsqu'il s'agit de littérature pour enfants : il peut être blessant pour certains lecteurs.
Par exemple, il peut être très troublant pour les enfants noirs de lire une édition de Huckleberry Finn de Mark Twain dans laquelle le mot "nègre" n'a pas été supprimé, souligne Nel.
Quoi qu'il en soit, les deux experts s'accordent à dire qu'en tant qu'adultes, nous pouvons aider les enfants à "s'évader et à faire le tri" dans des histoires au langage, aux valeurs et aux idées dépassées.