Les œuvres d’art les plus polémiques de l'Histoire
Inaugurée le 18 septembre 2021 en présence d’Emmanuel Macron, de la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot et d’Anne Hidalgo, maire de Paris, l'œuvre de Christo et Jeanne-Claude avait relancé alors de nombreux débats sur l’art contemporain. Le mondialement célèbre Arc de Triomphe était alors empaqueté sous 25 000 mètres carré de tissu recyclable en polypropylène, de couleur argent bleuté, tenu par 7 000 mètres de corde rouge. Alors que l'artiste est décédé en 2020, maintenir la performance malgré tout était une manière de lui rendre hommage.
Malgré tout, cette performance ne fut pas du goût de tous et a relancé un certain nombre de polémiques... L’art contemporain va d'ailleurs souvent de pair avec la critique ou l’incompréhension. Retour sur les œuvres les plus polémiques de l’histoire.
Inauguré lors de la Saint-Valentin de 2019 et dans le cadre du programme artistique du tramway T3, ce gros cœur rouge perché à 9 mètres de hauteur est composé de 3 800 carreaux de faïence. La nuit, des milliers de led l'illuminent. Problème, l'œuvre est placée porte de Clignancourt, à Paris dans le 18e arrondissement, l’un des quartiers les plus pauvres de la capitale. Or, elle a coûté 650 000 €, financés par l'argent public, dont 40 000 euros ont été reversés à l'artiste. "Le sens des priorités de certains m’échappe. […]. Nous avons décidé de les arrêter, car on considérait qu’il était mieux d’investir pour régler des problèmes essentiels du quotidien, plutôt que pour du mobilier artistique", s’indigne William Delannoy, maire de la ville de Saint-Ouen, limitrophe, dans Le Parisien.
Le supposé "arbre" de l’artiste américain avait été érigé place Vendôme à Paris, en 2014. Mais sa forme pour le moins suggestive en avait rapidement fait l’objet de controverses. L'œuvre a été vandalisée, l’artiste agressé. Et alors qu’elle ne devait être exposée qu’une semaine, elle a finalement été retirée tant elle attisait la haine. En un sens, on peut dire que l'œuvre a atteint son but : la subversion.
Depuis mars 2020 et jusqu’à mars 2022, la place Trafalgar à Londres accueille une statue pour le moins non-conventionnelle. Cette œuvre de Heather Phillipson représente une énorme montagne de crème fouettée, surplombée d’une cerise géante, et parsemée d’une mouche et d’un drone. Selon l’artiste, “The End” - “La Fin” -, symbolise “l’arrogance et l’effondrement imminent”. Dans cette œuvre multimédia, le drone filme en direct les alentours et les diffuse sur un site Internet dédié. Mais les critiques se sont là encore fait entendre : par exemple, pour le quotidien, le Daily Mail, l’esthétique de cette dernière est "cauchemardesque".
Installée dans les jardins du château de Versailles en 2015 dans le cadre d’une exposition de l'artiste, l'œuvre suscite des réactions extrêmement violentes. Cette large trompe en acier longue de 60 mètres et haute de 8 mètres représente un organe féminin. Elle est vandalisée une première fois, seulement quelques jours après le début de l’exposition, aspergée de peinture jaune. Puis, quelques mois plus tard, elle est couverte d'inscriptions haineuses et antisémites, que l’artiste décide de laisser, estimant qu’elles font désormais partie de l'œuvre. Elle sera dégradée une troisième fois la même année, avec une l'inscription : “Respect art as u trust God” - respectez l'art comme vous croyez en Dieu -.
"Bouquet of Tulips" est un cadeau de Jeff Koons à la ville de Paris en 2016. Il le justifie comme "un geste d’amitié entre le peuple américain et le peuple français" après les attentats de 2015 et 2016. Cette sculpture, qui représente une main tenant des tulipes multicolores, mesure de 10 mètres de hauteur, 8 de large, pèse 27 tonnes sans son socle. Elle est supposée représenter "l’acte d’offrir". En 2017, une pétition "Non au bouquet de tulipes de Jeff Koons à Paris" a été lancée par Espace 35, collectif d’artistes de Belleville. Ils dénoncent la "démesure" du projet.
"Le choix de l’œuvre, et surtout de son emplacement, sans aucun rapport avec les tragiques événements invoqués et leur localisation, apparaissent pour le moins surprenant, sinon opportunistes, voire cyniques", résume la tribune publiée dans Libération, le 21 janvier et signée par une vingtaine de personnalités rassemblées autour du réalisateur Olivier Assayas, de l’ancien ministre Frédéric Mitterrand. Jeff Koons est selon eux : "devenu l’emblème d’un art industriel, spectaculaire et spéculatif" et "son atelier et ses marchands sont aujourd’hui des multinationales de l’hyperluxe".
Cette œuvre pourrait se résumer en quelques mots-clés : une banane, ni pas ni trop mûre, un bout de gaffer et Art Basel Miami. Héritier du ready-made post Marcel Duchamp, Maurizio Cattelan est connu pour ses installations subversives. En décembre 2019, alors qu’il n’a rien exposé à une foire d’art contemporain depuis 15 ans, il présente "Comedian", cette banane accrochée au mur. Outre l’apparente simplicité de cette œuvre, son prix a lui aussi animé les critiques, puisqu'elle s’est vendue à 120 000 $.
En réalité, il ne faut pas se focaliser ici sur la mise en œuvre ou l’esthétique. À l’instar de Marcel Duchamp et du mouvement du ready-made, il faut replacer cette banane dans son contexte, c’est l’idée qui prime. Quatre exemplaires de cette installation existent et ont été vendus. Elles sont toutes accompagnées d’un certificat d’authenticité et d’instructions, établies par l’artiste, précisant comment le fruit doit être changé plus ou moins tous les dix jours.
À l’occasion d’une exposition personnelle en 2010 au Palazzo Reale, Maurizio Cattelan - encore lui - fait installer “L.O.V.E.”. Il faut comprendre : L : liberta (liberté) ; O : odio (haine) ; V : vendetta (vengeance); E : eternita (éternité). Rien de moins qu’un doigt d’honneur en marbre haut de 11 mètres, le tout face à la Bourse de Milan. Cette sculpture outrageuse n’a pas manqué de trouver ses détracteurs. Et pour répondre à la provocation, l’artiste avait déclaré qu’il offrirait la sculpture à la ville si son emplacement devient permanent.
Olafur Eliasson est connu pour ses installations engagées concernant l’Homme et son environnement. Pour celle-ci, il a fait déplacer des blocs de glace depuis le Groenland, avant de les exposer à Copenhague, Paris et Londres. Irrémédiablement, l'œuvre est amenée à s’autodétruire sous les yeux des spectateurs. Mais pour acheminer ces 100 tonnes de glace, il a d’abord fallu les extraire des icebergs puis les faire venir en avion. Un peu antinomique tout ça... Plus largement, on se demande comment rendre compatibles aujourd’hui conscience écologique et organisation d’expositions.
En 2014, Surrey NanoSystems, entreprise britannique spécialisée dans les nanotechnologies, crée le noir le plus noir du monde, le "Vatablack". Composé de nanotubes de carbone agencés verticalement et "serrés les uns contre les autres comme les arbres d’une forêt”, il a un coefficient d’absorption de 99,965 %. Puis en 2016, Anish Kapoor obtient les droits d'utilisation exclusif de cette matière pour un usage artistique. Le monde de l’art est outré. Un hashtag #ShareTheBlack ("Partage le noir"). En 2019, l’artiste Stuart Semple riposte. Il crée un noir profond intitulé "Black 3.0" accessible à tou·te·s… À l’exception d’Anish Kapoor et ses associé·e·s. Et toc.
L'œuvre représente de manière claire une relation charnelle entre un homme et un animal. Initialement, elle devait être présentée au parcours “Hors les murs” de la Foire internationale d'art contemporain (Fiac) aux Tuileries, en 2017. Mais l'œuvre a finalement été refusée par le Louvre. La direction du musée justifiait son refus en expliquant que "des légendes sur l'Internet circulent et attribuent à cette œuvre une vision trop brutale qui risque d'être mal perçue par notre public traditionnel du jardin des Tuileries". Finalement, elle sera exposée sur le parvis du Centre Pompidou.
Ce jeune garçon sans vêtements, d’un blanc immaculé, tient une grenouille dans sa main, regard dénudé de pupilles et avec un air relativement sadique. Installée devant le Punta della Dogana, à Venise, à l’entrée du Grand Canal, cette dernière n'était pas du tout du goût de certains Vénitiens. Ceux-là préféraient le plus classique réverbère en fonte du XIXe siècle que la sculpture est venue remplacer. Et si le conservateur de musée italien Francesco Bonami s’est soulevé contre cette décision, elle a tout de même été retirée.
Allen Jones est l’un des premiers artistes pop anglais. Fasciné par les femmes aux longues jambes, perchées sur de hauts talons et par la culture subversive du fétichisme, ses œuvres sont à la fois engagées et dérangeantes. “Porte manteau, Chaise et Table” est l’une de ses premières créations, en 1969. Il se revendique lui-même féministe et se dit inspiré par la sexualisation des vêtements féminins dans les années 60. Mais chacune de ses expositions dans les années 1970 est accompagnée de manifestations féministes.
Sur cette photo de 1980 en noir et blanc, le contraste est marqué entre le costume de l’homme qui pose et la chair de ses mains et de son attribut, au cœur de la photo et mis en évidence. C’est le petit ami de l’époque de l’artiste qui est photographié. Mais les sénateurs et conservateurs américains estiment que cette image représente l’exemple d’un "art dégénéré". La photo a été vendue en 2015 pour pas moins de 478.000 dollars.
Réalisée par l’artiste brésilienne Juliana Notari en janvier 2021, l’œuvre a été attaquée sur le fait qu’elle représente de manière explicite l'appareil reproductif féminin. Rappelons que le pays est socialement et politiquement déchiré depuis l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro. Ses soutiens estiment que "Diva" est indécente et laide. Olavo de Carvalho, essayiste et idéologue, a même suggéré qu’une sculpture phallique devrait lui être opposée.
© Instagram @juliana_notari
Mais les conditions de réalisation de “Diva” ont elles aussi suscité de vives critiques. Sur les réseaux sociaux, les internautes reprochent à Juliana Notari d’avoir installé son œuvre sur d’anciennes terres de culture de la canne à sucre et qu’elle a été mise en place par une main-d’œuvre masculine et noire, comme on le voit sur des photos publiées par l’artiste.
© Instagram @juliana_notari
Et oui, encore lui, on vous avait bien dit que c’était le roi de la polémique. Cette statue de cire, agenouillée en position de prière, vêtue d’un costume gris ne mesure que 101 centimètres de haut, 43,1 centimètres de large et 63,5 centimètres de profondeur - une taille enfant donc -. Il faut s’approcher d’un peu plus près pour se rendre compte que c’est un adulte bien tristement connu qui est ici représenté, puisqu'il s’agit d’Hitler.
La première polémique sur la sculpture concerne son emplacement, dans le ghetto de Varsovie. Durant la Seconde Guerre mondiale, 500 000 Juifs polonais y ont été déportés. Elle a été placée dans une cour privée d’un immeuble désaffecté, rue Próżna, à quelques centaines de mètres du mémorial de l’insurrection du Ghetto de Varsovie. Elle sera finalement retirée car considérée comme “une provocation insensée qui insulte la mémoire des victimes juives des Nazis”. Par ailleurs, qu’Hitler soit représenté de petite taille sous-entend qu’il dispose ici d'une “pureté enfantine”. Malaise.
Peint au XIXe siècle, époque où pudeur et morale dominaient le monde, le tableau avait évidemment suscité le scandale. Avant 1995, seuls quelques amateurs avaient pu le voir en vrai. Les précédents acquéreurs l’avaient d’ailleurs placé en trompe-l'œil sous un autre tableau. L'œuvre n’avait par ailleurs été exposée que deux fois au public : une fois à New-York en 1988, puis une autre en 1992 à Oran, ville d’origine de Courbet. Elle est aujourd’hui accrochée au musée d’Orsay, mais réduire l'œuvre à une volonté simplement provocatrice de l’auteur est une erreur. Courbet rend ici un hommage aux femmes au sens large, amantes ou mères.
Quand il présente “Le Déjeuner sur l'herbe" à l’Académie de peinture en 1863, Manet choque les esprits. L'œuvre est, en effet, accusée de violer toutes les règles de la peinture académique. La présence d’une femme dévêtue au milieu d’hommes habillés scandalise, autant que le fait que ce grand tableau de 207 × 265 cm représente une scène de la vie quotidienne. Ces dimensions sont en général réservées aux scènes historiques ou allégoriques. De plus, la femme regarde le spectateur, comme une provocation : c’est sans doute une prostituée. Le tableau sera finalement exposé en 1863 au Salon des Refusés. Aujourd'hui, l'œuvre est l’une des plus connues du monde.
Le sujet a ici choqué autant que son traitement. Pourtant, Manet, dont le souhait le plus cher était d’être accepté par l'Académie, n’a fait que perpétuer la tradition du nu féminin, initié par Titien, Vélasquez ou Goya. Mais ces derniers cachent leurs nues sous le prisme de l’allégorie, tandis que Manet peint ici une prostituée. Le titre fait d’ailleurs référence au surnom que prenaient couramment les prostituées de l'époque. Le petit chat noir à droite est lui aussi une évocation érotique. “Olympia” a ouvert la voie à la modernité et aux représentations de la vie quotidienne, non idéalisée. L’image de la prostituée a par la suite été largement exploitée par les artistes et auteurs, de Degas à Zola.
On connaît bien Degas pour ses peintures de danseuses. Fasciné et attaché à rendre le mouvement le plus proche du réel possibles, il représente ici une jeune danseuse, avec un vrai tutu et de vrais chaussons, le tout sur une statue de cire. Il choisit de présenter son œuvre en vitrine, mais les critiques y voient plutôt un travail de taxidermiste. Le modèle choisi est aussi critiqué : la jeune fille est très jeune, on traite Degas de pédophile. D’autant que le modèle ici représenté est un petit rat de l’Opéra à la très mauvaise réputation : elle pose dévêtue pour des peintres et se prostitue.
Marcel Duchamp a redéfini le concept d'œuvre d’art. Quelle est sa limite ? Existe-t-elle en tant qu’objet esthétique devant répondre à des critères précis, ou est-elle considérée comme œuvre du moment où elle est observée comme telle ? Passionné par les objets industriels, selon la légende, Duchamp aurait ajouté la signature “R. Mutt”, un jeu de mots en anglais - “mutt” qui signifie “clébard”, “idiot” ou un mauvais comédien qui fait le pitre pour se faire remarquer .
L’objet est ensuite envoyé à la toute nouvelle Société des artistes indépendants de New York, fondée en 1916 et qui organise son premier Salon. Mais personne ne connaît ce “Mutt”. Croyant à une blague, le jury n’exposera pas l’urinoir. Puis en 1950, Marcel Duchamp commence à s’attribuer la paternité de la Fontaine. “Mutt”serait une référence à la manufacture de plomberie J.L. Mott Iron Works, d’où vient l’objet.
Piero Manzoni est largement inspiré par le ready-made et les artistes tels que Marcel Duchamp. En 1961, il fabrique puis vend 90 boîtes de conserve numérotées et signées, qui contiennent… Ses excréments. L’idée prend le pas sur la forme de l'œuvre et sa forme. Le spectateur n’a par ailleurs pas d’autres choix que de croire l'artiste sur parole quant au contenu de la boîte de conserve. Quant au prix, il variait chaque jour en fonction du prix de l’or, sur lequel il se calait. Mais cette œuvre est surtout une satire du marché de l’art : n’importe quelle création réalisée par un artiste côté à ce moment-là, a de très grandes chances de se vendre rapidement. Depuis, plusieurs boîtes ont été ouvertes, ou se sont ouvertes seules à cause de l'érosion. Le mystère a donc été résolu : les boîtes contiennent bien des excréments…
Cette fois, l'artiste s’attaque à la sacro-sainte image du pape. D’autant qu’à l'époque où elle a été réalisée, en 1999, Jean-Paul II, dont on reconnaît les traits sur cette statue de cire, était encore en vie. L'œuvre laisse le spectateur d’autant moins indifférent que le Saint-homme est extrêmement réaliste et grandeur nature.
Pour cette installation artistique, Tracey Emin s’est inspirée de sa propre vie, alors qu’elle était en dépression suicidaire. Restée au lit pendant plusieurs jours après une rupture amoureuse, elle n’a rien mangé ni bu d’autres que de l’alcool. Autour de ce lit souillé, les déchets et le désordre s’accumulent. On peut y voir une forme de nature morte. Aux critiques qui lui reprochaient que n’importe qui pouvait exhiber un lit défait, elle répond : "Eh bien, ils ne l'ont pas fait, n'est-ce pas ? Personne ne l'avait jamais fait auparavant".
Hyperréalistes, étranges et dérangeants, semblant être sortis d’un film de science-fiction, les personnages de Patricia Piccinini mettent mal à l'aise autant qu’ils dérangent. L’artiste mêle la pureté et la douceur de l’enfance à ces créatures mystérieuses. L’artiste interroge le spectateur sur sa capacité à accepter un corps hybride, qu’il n'a pas l’habitude de voir.