La saga NTM : de la réalité à la fiction
Depuis le 20 octobre dernier, la série « Le Monde de demain » est disponible sur Arte. Cette fiction relate la rencontre, les débuts et les premiers succès dans les années 1980 du mythique groupe de rap français NTM.
La série en six épisodes a été co-créée et réalisée par trois scénaristes et réalisateurs : Katell Quillévéré (« Réparer les vivants »), Hélier Cisterne, qui a réalisé certains épisodes du « Bureau des légendes », et David Elkaïm, co-scénariste de la première saison de la série « En thérapie ».
Le titre « Le Monde de demain » est celui du premier single du groupe, sorti à la fin de l’année 1990. Un clin d’œil délibéré à un genre musical marginal à l’époque, mais amené à connaître un grand succès dans les décennies suivantes.
Le site d’Arte présente le développement du rap français comme une « révolution culturelle » dont les artistes du groupe NTM ont été les pionniers. Entre l’exploration de nouvelles formes musicales et la mise en scène de difficultés sociales, « Le Monde de demain » représente toute une époque de la banlieue française qui peut paraître lointaine aujourd’hui.
Les premiers épisodes de la série mettent en scène la rencontre des jeunes protagonistes du groupe : Didier Morville (le futur Joey Starr), Bruno Lopes (le futur Kool Shen) qui se consacre d’abord surtout au football, ainsi que le DJ Dee Nasty (sur la photo en 1991).
« Le Monde de demain » montre aussi toute une galaxie de personnages de l’époque. DJs, breakeurs, graffeurs, rappeurs… c’est à l’odyssée urbaine d’une jeunesse que la série rend hommage, s’appuyant pour cela sur des « centaines d’heures de témoignages et d’entretiens », comme l’a indiqué Katell Quillévéré, citée par ‘Le Télégramme’.
Alors que le rock est encore est en plein boom dans les années 1980, le rap est un genre émergent, contestataire, issus des quartiers défavorisés. Pour raconter la transition entre le rock et le rap, les créateurs de la série se sont offerts les droits sur la chanson « Vitamine C » du groupe de rock expérimental Can, sur laquelle on voit danser Joey Starr au Trocadéro.
Mais les réalisateurs ont également dû renoncer aux droits sur certaines chansons, du fait des réticences de certains artistes de l’époque.
Après la rencontre, les épisodes suivants retracent les péripéties des musiciens à la fin des années 1980, des performances de Dee Nasty sur les scènes du nord de Paris au service militaire que Joey Starr doit effectuer à contrecœur…
Les deux derniers épisodes du « Monde de demain » sont consacrés aux premiers succès à la radio et sur scène d’une nouvelle génération d’artistes. La série s’arrête alors que la légende d’un groupe ne fait que commencer…
Les trois artistes Joey Starr, Kool Shen et Dee Nasty ont eu un droit de regard sur l’ensemble des épisodes. Les trois hommes « ont été présents sur le plateau, ont rencontré les acteurs et les ont coachés », a indiqué Katell Quillévéré.
Néanmoins, Joey Starr ne s’est pas estimé totalement convaincu par le produit final, même s’il assure respecter le travail accompli par les comédiens et les réalisateurs. « Je trouve que ça ne joue pas sur la bonne note. (…) Moi, ça ne me parle pas parce que je trouve ça à côté de ce que ce qui se passait vraiment », a déclaré le rappeur, cité par ‘Ouest France’.
L’ancien comparse de Kool Shen n’a pas caché sa préférence pour « Suprêmes », le film d’Audrey Estrougo (au centre avec les deux acteurs principaux) sorti en 2021 : « Je trouve qu’on est un peu plus exact, même si ce sont deux objets complètement différents, la série et le film. Mais je valide vachement plus ce qui se dit et ce qu’envoie "Suprêmes" comme message. »
À noter que la série, co-produite avec Netflix et la société de production Les Films du Bélier, est la plus chère de l’histoire d’Arte. La « plus risquée » aussi, selon son directeur de la fiction Olivier Wottling, pour qui ce genre de narration fait défaut dans le paysage du cinéma français.
Il faudra attendre une autre série pour voir à l’écran la suite du parcours de NTM, du premier album « Authentik », sorti en 1991, aux polémiques récurrentes qui ont marqué l’histoire du groupe. NTM a fréquemment clashé la police et la justice, tout en s’opposant à la montée du Front national.
NTM peut être considéré comme le groupe de rap français le plus important de la riche décennie 1990. La consécration vient en 1998 avec le quatrième album « Suprême NTM », dont certains titres comme « Ma Benz » ou « Seine-Saint-Denis Style » sont entrés dans la légende.
Mais NTM, c’est aussi une histoire mouvementée, rythmée par les hauts et les bas de la relation entre Joey Starr et Kool Shen. Séparé en 2001 après avoir sorti son premier album live, le groupe se reforme officiellement en 2008 et part en tournée dans toute la France. En 2010, il est le premier groupe de rap à remplir un stade en France, lors d’un concert au Parc des Princes.
Mais Joey Starr et Kool Shen ont aussi évolué en parallèle, sortant chacun plusieurs albums en solo après leur séparation. Joey Starr s’est par ailleurs découvert une vocation d’acteur pour le cinéma, tandis que Kool Shen s’est reconverti comme joueur de poker.
En 2018, dix ans après leurs retrouvailles, les deux acolytes font un retour fracassant avec trois concerts à Bercy : « Nouveau retour en force. Cette fois-ci, ce sont trois AccorHotel Arenas qui sont bookés. Et complets en quelques minutes », peut-on lire sur le site officiel du groupe.
Mais l’année suivante, NTM annonce officiellement sa dissolution. Malgré leur succès persistant au fil des décennies, il n’y aura plus jamais de concerts ni de nouveaux disques de ce duo de légende.
Entre son rôle précurseur et ses titres mythiques, NTM fait incontestablement partie des plus grands noms de l’histoire du rap français. Quelle postérité attend ce groupe dont le parcours a duré plus de trente ans ? Il est en tout cas certain qu’une série comme « Le Monde de demain » peut transmettre les origines de la saga aux plus jeunes générations.