La mode et l’habillement : entre crises et mutations rapides
Une page s’est tournée : l’enseigne de distribution de prêt-à-porter Camaïeu a fermé ses portes au mois d’octobre dernier, après avoir été mise en liquidation judiciaire. Les stocks invendus sont désormais disponibles dans les magasins Noz.
Créée en 1984 et basée à Roubaix, un ancien bastion du textile français, l’entreprise était spécialisée dans la distribution de vêtements pour femmes. En 2018, elle détenait plus de 10% de parts de marché sur le prêt-à-porter féminin en France, pays dans lequel elle comptait 650 magasins et environ 2 600 emplois.
D’autres enseignes sont-elles menacées du même sort que Camaïeu ? Plusieurs d’entre elles, comme Celio, C&A ou Pimkie ont connu des difficultés dans la période récente. Et certains observateurs estiment que d’autres faillites sont possibles dans les mois à venir.
La distribution de vêtements va-t-elle connaître le même effondrement que l’industrie textile française avec plusieurs décennies de retard ? Plusieurs indices semblent en tout cas annoncer un avenir difficile. En voici un rapide aperçu.
Comme tous les secteurs d’activité, la mode et l’habillement souffrent de la crise économique. Inflation, impact des confinements, changement des habitudes des clients : tous ces facteurs fragilisent le modèle actuel de la distribution de vêtement.
La principale menace à court terme est la hausse des coûts. Celle des prix de l’énergie pour les producteurs, mais aussi celle des loyers pour les magasins, qui réduit fortement leurs marges et pénalise leur situation financière.
L’inflation actuelle nuit également au marché du vêtement à travers les comportements des consommateurs. Face à la flambée des prix, notamment de l’énergie, les particuliers sacrifient les dépenses superflues (vêtement, tourisme, loisirs) à celles qui sont nécessaires (logement, alimentation, transports).
Par ailleurs, la fréquentation des commerces physiques dans leur ensemble accuse une baisse importante, de 15 % en France entre 2019 et 2022. La diminution de la fréquentation touristique, le télétravail et l’habitude de commander en ligne sont passés par là…
La substitution de la vente en ligne au commerce physique est une tendance longue que la pandémie n’a fait qu’accélérer. Alors que la vente en magasin connaissait une lente érosion dans les années 2010, la part de marché du commerce en ligne en France est passée de 6 % en 2009 à 20 % aujourd’hui.
Le marché du vêtement n’est donc pas mort, surtout dans un pays comme la France qui attache une grande importance à la mode et à l’habillement. Mais il se reconfigure lentement, comme le montrent le recul des distributeurs classiques et le développement du commerce en ligne.
La vente de vêtements en ligne passe par différents canaux : les boutiques en ligne des marques de mode, bien sûr, mais aussi la revente de particulier à particulier sur des plateformes comme Vinted ou Le bon coin.
Mais d’autres tendances expliquent également les difficultés des enseignes classiques comme Camaïeu. De nouvelles façons de produire et de consommer ont rendu un peu daté le modèle du magasin traditionnel.
De plus en plus de consommateurs ne choisissent plus seulement leurs vêtements en fonction de la qualité ou du prix, mais aussi de leur caractère éthique et écologique. Matières biologiques et durables, fabrication locale, engagement social… c’est toute la chaîne de production et de distribution qui est révolutionnée par certains acteurs.
On peut citer par exemple la marque californienne Patagonia. Spécialisée dans les looks outdoor, l’entreprise est une pionnière des matières textiles biologiques et recyclées. Et elle est très appréciée des consommateurs !
Veja est une marque française de baskets qui a transformé en profondeur chaque étape de sa chaîne de production. Le fabricant mise sur des matériaux naturels, une fabrication éthique, mais aussi sur la transparence sur l’ensemble de ses activités.
Mais l’évolution du secteur de la mode est aussi liée à des questions de pouvoir d’achat, alors que la mode éthique et durable reste inaccessible financièrement pour beaucoup. Le développement rapide de la seconde main ces dernières années permet aux consommateurs de s’habiller chic pour pas cher.
Le segment de la seconde main est structuré en grande partie autour des friperies et des magasins dédiés. Mais à l’image de Kiabi (qui avait pourtant déjà construit sa réputation sur les petits prix), certaines marques ont également développé leur propre ligne de seconde main.
Les enseignes traditionnelles sont aussi concurrencées par les acteurs de la « fast fashion » (ou « mode rapide » en français), comme le chinois Shein ou l’irlandais Primark.
Entre des prix très faibles et une évolution rapide des modes, ces entreprises soumettent les acteurs traditionnels à une concurrence féroce, d’autant que les jeunes sont leur principale clientèle-cible.
Mais les enseignes du hard discount, non spécialisées dans l’habillement, prennent aussi leur part à la guerre des prix. Des distributeurs comme Lidl ou Aldi, qui visent un public modeste, proposent en magasin des vêtements à tout petits prix. Et les supermarchés traditionnels comme Monoprix se mettent également à vendre de l’occasion.
De son côté, le secteur du luxe est plus en forme que jamais malgré la crise économique. En témoignent aussi bien les chiffres d’affaires record des grandes maisons, que la part des fortunes issues du luxe dans les classements des patrimoines les plus élevés de France.
Le segment du moyenne gamme auquel appartenait Camaïeu est donc pris entre deux feux, entre une course aux petits prix dans une partie de la population et un appétit croissant pour les produits de qualité chez ceux qui en ont les moyens. Et le boom du commerce en ligne et de la mode éthique ne font qu’accélérer ces transformations.
Le marché paraît donc plus segmenté que jamais, entre quête de bonnes affaires et recherche de qualité et de durabilité. Quelle sera la mode de demain ? Difficile de le dire avec précision, mais le digital, l’éthique, l’écoresponsabilité et la guerre des prix en seront probablement les maîtres-mots.