Jack Lang : portrait de l’homme qui a révolutionné la culture en France
Désormais âgé de 83 ans, Jack Lang est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands ministres de la Culture de l’histoire de la Ve République en France. Mais qu’a-t-il apporté au juste et quelle a été sa vie ? Un tour d’horizon en images.
Né en 1939 et d’origine juive par son père, Jack Lang a fui sa ville natale de Nancy pour Cholet puis Bordeaux pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa grand-mère a été condamnée pour faits de propagande et de résistance sous le régime de Vichy, avant de mourir en déportation.
Jack Lang poursuit sa scolarité à Nancy avant d’aller étudier à Paris. Mais, très jeune, sa véritable passion est le théâtre. Fondateur de la troupe universitaire de Nancy pendant ses études, il crée le Festival de théâtre universitaire de Nancy en 1963, qu’il préside pendant dix ans.
C’est d’ailleurs au conservatoire de théâtre que le futur ministre de la Culture a rencontré son épouse, Monique Buczynski. Le couple a eu deux filles, toutes deux actrices : Caroline, qui a joué dans « L’Argent » de Robert Bresson et qui a fait carrière dans la production, et Valérie, qui a toujours été comédienne jusqu’à son décès prématuré en 2013.
D’abord proche de Pierre Mendès France, Jack Lang se rapproche de François Mitterrand, alors leader de l’opposition, dans les années 1970. Il entre au Parti socialiste dont il devient secrétaire national à la culture pour de longues années.
L’ascension politique de Lang est rapide au sein d’un PS qui s’apprête à reprendre le pouvoir au niveau national. Il est élu conseiller municipal à Paris en 1977. Mais c’est surtout sa nomination comme ministre de la Culture qui va en faire une personnalité connue des Français.
À la même époque, influencé par la pensée libertaire post-68, Jack Lang signe une pétition dans ‘Le Monde’ appelant à la libération d’adultes condamnés pour atteintes sur mineurs, précisant que les enfants concernés étaient consentants (même si la loi l’exclut). Un appel signé par de nombreuses personnalités du monde intellectuel, comme Louis Aragon, le couple Sartre-Beauvoir ou Gabriel Matzneff.
Mais la polémique n’éclatera que plusieurs décennies après, dans le sillage de révélations d’affaires de mœurs comportant des abus sur mineurs. En attendant, Jack Lang reste dix ans ministre de la Culture sous François Mitterrand, avec des attributions élargies plusieurs fois et un budget régulièrement augmenté : il est ainsi l’une des figures des « années Mitterrand » à la plus grande longévité politique.
Et pourtant, l’histoire a failli tourner court ! En juin 1981, soit quelques semaines après le retour de la gauche au pouvoir, il présente sa démission au chef de l’État après que son frère en état d’ébriété a tué un homme à coups de couteau. Mais François Mitterrand refuse le départ de son fidèle soutien, qui est aussi son principal relais dans les milieux culturels pendant ses deux mandats.
Avec André Malraux, sous la présidence du général De Gaulle, Jack Lang est considéré comme le ministre de la Culture à l’action la plus marquante de la France contemporaine. Sa création la plus célèbre est la Fête de la musique, qui a lieu tous les ans le 21 juin sous la forme de concerts dans les rues de France.
Formule à grand succès en France, la Fête de la musique s’est largement exportée à l’étranger. Tous les ans, le soir du solstice d’été, des pays comme l’Allemagne, les États-Unis, la Belgique ou la Suède célèbrent la musique dans certaines de leurs villes.
Une autre invention de Lang qui s’est européanisée : les Journées du patrimoine, d’abord nationales, puis devenues Journées européennes du patrimoine (JEP). Lancées en 1984, elles permettent au public de visiter des bâtiments officiels généralement inaccessibles. Les JEP ont aujourd’hui lieu dans une cinquantaine d’États européens.
En tant que ministre de la Culture, Jack Lang était aussi responsable de l’audiovisuel public. Il a mis en œuvre une réforme-phare du premier septennat de François Mitterrand : la création des radios libres. L’ouverture des ondes et la multiplication des chaînes de radio et de télévision a mis fin au monopole de l’État et transformé profondément le paysage audiovisuel français.
Toutefois, le ministre s’est opposé en 1985 au projet présidentiel de privatisation de l’audiovisuel public. Mais François Mitterrand a refusé sa démission pour ne pas rompre la solidarité gouvernementale à quelques mois des élections législatives.
Jack Lang a également été l’artisan des Grands Travaux dans la capitale, un projet essentiel pour François Mitterrand, désireux d’entrer dans l’histoire en imprimant sa marque dans le paysage parisien. Les principales réalisations sont la construction de la Grande Arche de la Défense, la création de l’Opéra Bastille (sur la photo), le Grand Louvre et bien sûr la Bibliothèque François Mitterrand.
Associé à un monde de la culture et de l’architecture très parisien, Jack Lang n’a pas oublié le développement culturel des autres régions. Il est à l’origine de la décentralisation des politiques culturelles, avec la création ou la rénovation de nombreux équipements en province, et la mise en place des Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC).
L’encouragement à l’art contemporain est d’ailleurs au cœur de son action pendant dix ans, même si le ministre n’oublie pas non plus les monuments historiques et les grands musées. Les principaux leviers à sa disposition sont la commande publique d’art et l’appel à des créateurs pour les grandes manifestations culturelles, comme le bicentenaire de la Révolution française en 1989.
Dernier pilier de l’action de Jack Lang ministre de la Culture, la relance de l’enseignement artistique. Des actions de sensibilisation à l’art sont créées pour les enfants, et de nouvelles disciplines sont enseignées comme l’histoire de l’art, le théâtre ou le cinéma.
Afin de poursuivre sa carrière politique au-delà de la présidence mitterrandienne, Jack Lang se frotte au suffrage universel en s’implantant en Loir-et-Cher après avoir été conseiller de Paris. Élu député dans ce département en 1988, il est élu maire de Blois l’année suivante.
En 1992, Jack Lang devient ministre de l’Éducation nationale en plus du portefeuille de la Culture dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy. Il est rappelé au même poste en 2000 par Lionel Jospin, qui a alors besoin d’une personnalité consensuelle après le passage de Claude Allègre (sur la photo), marqué par une très forte contestation.
Pourtant, la relation entre Lang et Jospin n’avait pas toujours été au beau fixe. En 1995, Jack Lang, qui souhaitait porter les couleurs du PS à la présidentielle, avait traité le candidat Lionel Jospin de « loser ». Ce dernier avait refusé son entrée au gouvernement deux ans après. La candidature Lang de 1995 avait été contestée par de nombreux cadres du PS, parmi lesquels un jeune militant du nom de Manuel Valls.
Outre les critiques en interne, Jack Lang fait face depuis des années à des polémiques récurrentes quant à d’éventuelles affaires de mœurs. Son nom a souvent été associé à des abus présumés sur mineurs, sans qu’aucune preuve n’ait jamais été établie.
En 2000, celui qui reste un poids lourd au PS envisage de se présenter aux élections municipales à Paris, peu de temps avant d’être rappelé au gouvernement. C’est finalement un autre socialiste, Bertrand Delanoë, qui ravit la capitale à la droite en 2001.
Jack Lang a une nouvelle fois caressé des ambitions présidentielles en 2007, mais il s’est finalement rangé derrière Ségolène Royal. Il se montre plus distant avec son parti sous le mandat de Nicolas Sarkozy, qui lui confie certaines missions officielles en France comme à l’international.
Battu aux élections législatives de 2012, l’ancien ministre a quitté la politique active à cette date. Depuis 2013, il est le président de l’Institut du monde arabe. Partisan de l’enseignement de la langue arabe en France, Jack Lang a aussi essuyé des critiques pour sa gestion de l’institution.
Quel bilan peut-on tirer de près de cinquante ans d’engagement ? Certains ont vu en Jack Lang le porteur d’un renouveau majeur des politiques culturelles, tandis que d’autres ont critiqué ses choix et le poids excessif accordé à l’État dans la création et la diffusion de la culture. Quoi qu’il en soit, le natif de Lorraine aura été tout au long de sa vie un homme politique particulièrement actif et un militant infatigable de la démocratisation de la culture.