Bernard Kouchner, le parcours atypique d'un médecin sans frontières devenu ministre français
Bernard Kouchner fête ses 83 ans ce mardi 1er novembre. L’occasion de revenir sur un parcours atypique, qui a conduit le « French doctor » à sillonner le monde pour faire face aux urgences humanitaires, avant de connaître un long parcours ministériel sous plusieurs présidents français. Découvrez en images une vie aux multiples facettes.
Le futur médecin sans frontières est lui-même le fils de Georges Kouchner, un médecin juif d’origine lettone. Les parents de son père ont été déportés au camp d’Auschwitz en 1944. Sans renier ses racines juives, Kouchner se définit lui-même comme athée.
Sur la photo : l'abbé Pierre et Bernard Kouchner en 1995.
Étudiant en médecine, Bernard Kouchner se lance très tôt dans l’activité militante qui connaît une période faste dans les années 1960. Militant à l’Union des étudiants communistes (UEC), il s’implique très jeune contre la guerre d’Algérie et participe à la protection de l’appartement de Simone de Beauvoir.
Tout en restant à distance du Parti communiste français, le jeune militant s’engage contre la guerre menée par les États-Unis au Vietnam. Peu actif sur les barricades en mai 68, il participe tout de même à la rédaction d’un livre blanc pour réformer la faculté de médecine.
La même année, Kouchner fait plusieurs séjours au Biafra, un État sécessionniste au sud-est du Nigéria. Il y travaille pour la Croix-Rouge afin de faire face aux problèmes humanitaires sur place. Ces expériences marquent le début d’une vie engagée aux quatre coins du monde.
En 1970, Bernard Kouchner dénonce publiquement les massacres en cours au Biafra. Soutenant les rebelles, il donne l’alerte dans une tribune intitulée « Un médecin accuse », parue dans ‘Le Nouvel Observateur’. Et il critique le silence de la gauche face à cette situation.
C’est le début de l’épopée du « French Doctor », qui accède progressivement à une grande notoriété. Le médecin participe à de nombreuses missions humanitaires à travers le monde, comme en Jordanie en 1970 ou au Vietnam en 1975.
Son engagement humanitaire se double d’un goût de l’aventure. Des années après, Kouchner a décrit cette période : « Bien des fois, au Kurdistan, au Liban, j'ai éprouvé cet étrange sentiment qui pousse à aller jusqu'au bout de l'aventure, à courir les plus grands risques, à goûter le délicieux frisson du danger, à frôler le grand saut. Des années après, j'ai saisi que l'aide humanitaire, j'en faisais d'abord pour moi-même. »
En 1971, Bernard Kouchner participe à la fondation de Médecins sans frontières, qui recevra le Prix Nobel de la paix en 1999. Son but est de venir en aide aux populations du monde entier menacées par des guerres, des épidémies, des catastrophes naturelles ou qui n’ont pas accès aux soins. Plus de 50 ans après sa création, la célèbre ONG est plus active que jamais !
Le futur ministre de la Santé est un touche-à-tout aux multiples activités. Tout en exerçant une partie du temps son métier à Paris, il participe sous le pseudonyme de Bernard Gridaine au scénario de la série télévisée « Médecins de nuit », diffusée de 1978 à 1986.
Outre son engagement humanitaire comme médecin, Bernard Kouchner est connu pour avoir soutenu le « droit d’ingérence », qui légitime le principe d’interventions armées pour protéger des populations menacées. Une vision qui tranche avec le principe de non-ingérence dans les affaires d’États étrangers, à laquelle l’ONU a préféré le concept de « responsabilité de protéger ».
Bernard Kouchner avait rencontré sa première femme, Evelyne Pisier, lors d’un voyage militant à Cuba dans les années 1960. Le couple a eu trois enfants. Mais la sœur de l’actrice Marie-France Pisier n’a pas dévié de son engagement révolutionnaire, tandis que Kouchner se convertissait à l’action humanitaire. C’est d’ailleurs le style de vie imposé par son époux toujours en mission qui est à l’origine de leur rupture.
Un style de vie qui ne déplaît pas, au contraire, à sa seconde femme, la journaliste Christine Ockrent. Ensemble depuis quarante ans, le couple Kouchner-Ockrent est l’un des plus en vue du tout-Paris.
Dans les années 1980, le médecin se mue progressivement en homme politique. Kouchner se rapproche de la gauche au pouvoir depuis 1981 et soutient François Mitterrand lors de sa campagne de réélection, en 1988. Le même Mitterrand qui avait apprécié son idée de « devoir d’ingérence ».
Battu aux élections législatives dans le Nord en 1988, Bernard Kouchner reste au gouvernement, où il passe de l’insertion sociale à l’action humanitaire. Une fonction qui va le conduire à porter la voix de la France face aux urgences du monde entier : du Soudan à Sarajevo pendant la guerre de Yougoslavie, en passant par la Roumanie lors de la chute de Ceaucescu.
C’est dans le cadre de ses fonctions à l’action humanitaire que Kouchner a lancé la fameuse opération militaro-humanitaire en Somalie, en 1992. Une action restée dans les mémoires grâce aux images du ministre sur les plages somaliennes, portant des sacs de riz collectés en France.
Bénéficiant d’une influence croissante au gouvernement, Bernard Kouchner voit son portefeuille ministériel élargi à son thème favori, la santé, en 1992. Il est à l’origine de la loi sur la bioéthique qui sera mise en œuvre par ses successeurs.
Présent sur la liste socialiste aux élections européennes de 1994, l’ancien ministre commet une gaffe mémorable en déclarant ne pas avoir voté pour sa propre liste. Il se rapproche à l’époque du Parti radical de gauche, dirigé par un certain Bernard Tapie…
Kouchner revient au gouvernement de 1997 à 1999 comme secrétaire d’État à la Santé, sous la tutelle de Martine Aubry. Lionel Jospin le rappelle ensuite comme ministre délégué début 2001. Au menu : gestion de la crise de la vache folle et loi relative aux droits des malades.
Dans la foulée de l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999, Bernard Kouchner est nommé Haut-représentant de l’ONU pour ce territoire séparé de la Serbie et ravagé par la guerre. Le Français a été l’administrateur officiel du Kosovo pendant 18 mois.
Dans un rapport remis au Conseil de l’Europe, Bernard Kouchner a été accusé d’avoir couvert un trafic d’organes perpétré par l’Armée de libération du Kosovo. La procureure du Tribunal spécial pour l’ex-Yougoslavie, Carla del Ponte (sur la photo), a dénoncé son manque de coopération lors de ses enquêtes sur les activités criminelles menées dans le pays.
Marginalisé au PS qui avait lui-même perdu le pouvoir en 2002, le médecin-ministre a connu une traversée du désert politique dans les années 2000. Il ne parvient pas à se faire nommer à la tête d’organisations de l’ONU (Haut-commissariat aux réfugiés, Organisation mondiale de la santé) et son projet de candidature à la présidentielle de 2007 échoue également.
Mais Kouchner fait un retour inattendu au gouvernement en 2007 ! Rompant avec la gauche, il se rallie au nouveau président Nicolas Sarkozy qui le nomme ministre des Affaires étrangères au nom de l’ouverture.
Au Quai d’Orsay, l’ancien ministre de François Mitterrand soutient une ligne plus proche de celle des néoconservateurs américains, en rupture avec la tradition d’indépendance de la diplomatie française. Il est le premier dirigeant français à se rendre en Irak depuis le début de la guerre en 2003, et il met par ailleurs en garde contre la menace nucléaire iranienne.
Mais son rôle est de plus en plus marginal au fil du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Face à la cellule diplomatique de l’Élysée et à l’influence de conseillers extérieurs du président (Alain Minc, Bernard-Henri Lévy), Kouchner n’a qu’un faible poids politique. Il quitte le gouvernement fin 2010, peu de temps avant le début du printemps arabe.
En 2009, le journaliste d’investigation Pierre Péan publie « Le Monde selon K », un livre à charge sur l’ancien médecin devenu homme politique. L’essai met notamment en cause les activités de conseil relatives au système de santé que Kouchner a exercées au Gabon et au Congo.
Plus de dix ans après, en janvier 2021, un autre livre-choc touche indirectement l’ancien ministre. Dans « La familia grande », sa fille Camille dénonce les abus dont son frère aurait été victime de la part du professeur de droit Olivier Duhamel, le second mari de leur mère Évelyne Pisier.
Que faut-il penser du bilan de Bernard Kouchner ? Souvent cité dans des sondages comme l’une des personnalités préférées des Français, il est aussi une figure très clivante et souvent critiquée pour certaines prises de position. Quoi qu’il en soit, sa carrière atypique et ses années passées sur le terrain tranchent avec le parcours de nombreuses autres personnalités politiques.